ABSTENTION - Le fléau de la grève civique - départementales et régionales juin 2021- Blog #8
- Nicolas Pellegrini
- 24 juin 2021
- 7 min de lecture
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I n t r o d u c t i o n
Le premier tour des élections départementales et régionales se sont achevées ce dimanche 20 juin. Ces scrutins resteront tristement mémorables, en effet ils constituent l'évènement démocratique qui aura mobilisé le moins d'électeurs.
La gueule de bois frappe tous les démocrates en cette semaine de campagne, qui on le sait, ne permettra pas de mobiliser davantage de citoyennes et de citoyens que les 33% qui se sont déjà rendus aux urnes. Cependant, il est difficile de faire la leçon à qui que ce soit tant la grève civique est unanime (et prévisible).
Depuis déjà longtemps nous mettons en garde contre la défiance envers nos institutions. Dès 2020 suite à l'épisode calamiteux des élections municipales nous prévenions qu'à partir de ce jour, pandémie ou non, les élus de la République seront les plus mal élus de toute la Vème République. Avec un français sur trois qui s'est rendu aux urnes, cela n'émeut personne ou presque, les commentateurs et la plupart des personnalités du monde politique commentent les résultats comme s'ils avaient une quelconque signification avec une si grande abstention.
Mais notre famille politique prévenait déjà bien avant. Nous avons toujours dénoncé avec vigueur ce système politique qui n'a de représentatif que le nom. Raison pour laquelle nous appelons de nos vœux une 6ème République qui offre au Peuple le premier rôle en matière de décision publique. Mais la question du changement institutionnel viendra en son temps, lors de l'élection présidentielle de 2022 qui, je le crains, ne mobilisera guère davantage les foules bien que les citoyens aient bien intégrés l'idée que dans la 5ème République, seule l'élection présidentielle permettra de toucher aux fondements structurels de notre système politique. En effet suite à cette abstention terrible, la France Insoumise a proposé d'élaborer une loi qui implique de recommencer une élection si un taux (à définir) d'électeur ne s'est pas déplacé, pour éviter l'illégitimité électorale chronique des responsables politiques. Vous l'aurez compris, l'abstention a pour source principale le fonctionnement dépassé de notre système institutionnel:
C'est la raison pour laquelle la force progressiste que nous souhaitons incarner à l'élection présidentielle (l'arc humaniste) a pour volonté de refonder ce dernier de fond en comble. Mais ces élections départementales et régionales dont je vais parler durant cette note de blog, sont particulières, car au-delà d'envoyer un signal extrême sur l'état de notre démocratie, elles se sont déroulées de manière totalement chaotique. En effet d'une part, il s'agit des élections qui passionnent le moins les foules (parmi les élections locales, les élections départementales et régionales sont celles où l'abstention est la plus élevée).
Ce désintérêt pour ces scrutins ont une cause: La décentralisation de notre modèle politique et la complexité de ce dernier rendant difficile à saisir les enjeux de ces scrutins pour le citoyen [I]. Ensuite, cette abstention particulièrement élevée en 2021 trouve son origine dans un sabotage savamment orchestré par une Macronie aux abois voulant limiter l'impact d'une déroute électorale un an avant l'élection présidentielle [II].
I] L' é c h e c d u m o d è l e t e r r i t o r i a l f r a n ç a i s
L'on dit souvent que les français sont attachés à la localité. Si ce n'est pas forcément faux, il est vrai aussi d'affirmer que lorsque les collectivités perdent leurs moyens d'agir, l'abstention est la grande gagnante des scrutins locaux.
Après plusieurs décennies de décentralisation, dans laquelle l'Etat a choisi de se séparer de nombreuses compétences en faveur des collectivités, puis la création ex nihilo de collectivités nouvelles, forcé de constater que l'organisation de notre République repose sur la décentralisation, en témoigne l'article 1 de la Constitution modifiée par la réforme de 2003:
"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée."
Si la proximité des politiques est l'objectif principal de ce long mouvement de décentralisation, c'est un échec monumental. L'expression "mille-feuille territorial " est significative car elle exprime le ressenti des électeurs vis à vis de nombreuses collectivités qui possèdent une multitudes de compétences qui s'entrechoquent les unes avec les autres.
L'impossibilité à l'échelon local de mener des politiques publiques à une échelle large rend inopérant une grande partie des discours politiques lors de ces élections. En effet depuis le début du processus de décentralisation (années 1980), les pouvoirs publics n'ont eu de cesse de transférer des compétences de l'Etat vers les collectivités sans allouer les moyens financiers, techniques et humains pour les remplir avec efficacité.
Le renforcement du rôle des régions et la fusion de ces dernières, au-delà d'avoir éloigné la décision publique des citoyens, a incité les collectivités à mutualiser leurs moyens pour faire face aux manquements de l'Etat.
Cette mutualisation s'exprime par la multiplication des communautés de communes (EPCI) qui deviennent les principaux échelon locaux, ces dernières agrégeant toujours plus de nouvelles compétences au détriment des communes. Ces mêmes communes qui sont pourtant les berceaux de la démocratie.
Aujourd'hui, qui peut décemment prétendre connaître les différentes compétences des collectivités, et séparer les champs d'actions de ces dernières lorsque les compétences n'entrent pas en concurrence ?
La difficile lecture du rôle des départements et des régions ne participe pas au sursaut démocratique, et pourtant ces collectivités gèrent le quotidien des citoyennes et des citoyens (voirie, collèges, aides sociales pour les département, mais également développement économique, lycées pour les régions).
S'ajoute à cela des mensonges éhontés de plusieurs candidats à ces élections qui ne font qu'embrouiller le rôle de ces mêmes collectivités et rend illisible aux yeux des citoyens l'enjeu véritable de ces scrutins.
Je prends pour exemple les candidats de la droite extrême et de l'extrême droite, qui non contents de jouer sur les craintes des gens, les prennent pour des imbéciles en axant leurs programmes autour des enjeux sécuritaires alors que la compétence "sécurité" ne relève ni de la Région, ni du Département.
En bref, ces élections départementales et régionales ne passionnent pas pour de nombreuses raisons structurelles, du fait de l'incompréhension du rôle de ces collectivités.
Enfin l'action publique quotidienne de ces dernières n'est que difficilement perceptible, d'une part pour le département, car les compétences en matière d'aides sociales sont gérées par l'Etat et le département n'a pour rôle que de distribuer les aides, et enfin pour la Région car il s'agit d'un échelon trop grand et que la décision publique est trop éloignée des administrés (pour un gardois, les décisions votées à Toulouse sont assez dépourvues de sens, tenons le nous pour dit).
II] L e s c r u t i n d e 2 0 2 1, é c h e c d é m o c r a t i q u e
Au delà des explications structurelles de l'abstention aux élections départementales et régionales (liées en grande partie à la décentralisation) il est aussi important de ne pas rester caché derrière son petit doigt et de pointer la responsabilité de l'échec de la participation au scrutin de 2021.
Au delà du COVID et de la volonté que nous partageons tous de retrouver des jours meilleurs: rien n'a favorisé la participation aux élections de juin 2021. En effet, tout a été fait pour que la participation soit la plus minime possible, d'une part la responsabilité incombe à la presse qui n'a pas fait preuve de pédagogie et n'a médiatisé cet évènement que très tard, en atteste la réaction honorable de Laurent Delahousse le soir du vote, ce dimanche, qui interroge le rôle de sa profession dans la vie démocratique. Ensuite le rôle du gouvernement qui, sensé organiser ces élections en a fait un thermomètre de sa politique en envoyant davantage de ministres faire campagne plutôt qu'administrer leurs propres ministères.
Enfin, le scandale de la distribution des professions de foi et des bulletins qui n'ont pas trouvé leurs milliers de destinataires (j'en fais moi-même partie). Tous ces éléments réunis ont fait de ce scrutin le plus gros laboratoire d'abstention jamais observé sous la Vème République. Il est temps de s'interroger collectivement sur le rôle des médias et des sondages dans la fabrique de l'opinion, qui n'est même plus à démontrer.
Mais aussi, il est nécessaire de faire de l'élection présidentielle le moyen de réorganiser l'Etat et d'en refaire l'échelon principal de l'action publique territoriale, en visant l'efficacité de l'action. Et bien qu'il faille interroger l'inaptitude du personnel politique à provoquer l'intérêt aux yeux des électeurs, il faut rappeler que l'abstention a pour cause toutes les sources que je viens de citer et que par conséquent, bien malin serait le candidat qui trouverait bonté aux yeux des votants, et ce malgré les programmes cohérents, pertinents, et audacieux des candidats soutenus par la France Insoumise.
Il est urgent de repenser notre modèle territorial avant que celui-ci ne perde définitivement foi aux yeux des citoyens, il faut repenser notre système démocratique avant qu'on ne lui préfère le pire. Il est urgent de repenser également notre modèle électoral afin qu'il retrouve sa légitimité.
C'est ce combat que nous portons au sein de la France Insoumise, pour ces élections comme pour celles à venir: refonder notre démocratie, par le Peuple, et pour le Peuple, seul souverain de la République.

C O N C L U S I O N
Etant moi-même candidat (suppléant) lors des élections départementales sur mon canton de naissance dans le Gard, j'ai pu constater l'échec cinglant de notre modèle électoral. Bien qu'ayant récolté le suffrage de plus de 1500 votants (que je remercie), dépassant ainsi les 18%, je ne pouvais me résoudre à ne pas m'interroger sur un tel degrés d'abstention.
L'origine de l'abstention c'est la colère. Elle se constate sur les marchés, dans les portes à portes durant la campagne électorale. La colère des citoyens n'est plus seulement palpable, elle est présente, dans le ton de la voix, dans le regard, dans le vocabulaire employé pour l'exprimer.
Si en 2022 nous n'arrivons pas au pouvoir pour offrir au peuple le pouvoir qui lui revient de droit, je crains que ce que nous avons vécu en 2021 pour ces élections ne soit que les prémices, et que le Peuple, le vrai, les 99% ne déserte totalement les urnes au profit de celles et ceux qui ont bien compris que voter pour conforter leurs intérêts leur serait bénéfique.
Car à la fin, l'abstention ne les gênera pas, eux, les puissants. La France Insoumise a déjà proposé de reconnaître le vote blanc, et de mettre en place un seuil de participation pour valider le résultat d'une élection: LREM a refusé.
La crise démocratique est sans précédent, il est urgent de passer à une 6ème République. Beaucoup de signaux devraient nous alerter: beaucoup se gargarisent du net recul du Front National, moi j'y vois une normalisation de ce dernier qui passe du parti anti-système au parti "normal", car même son électorat s'abstient. C'est la meilleure preuve de sa dédiabolisation, prudence.
Enfin, une telle abstention, bien qu'elle trouve des explications, ne permet pas d'avoir une analyse du rapport de force un an avant les élections présidentielles, celui qui le pense se trompe et s'expose à des surprises.
Le mot de la fin sera réservé aux candidats et militants de la France Insoumise, qui partout dans le pays ont défendu leurs idées lors de ces élections, le combat n'est pas fini. J'appelle à voter pour tous nos candidats au second tour ce dimanche 27 juin
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