La laïcité dans la localité - Blog #3
- Nicolas Pellegrini
- 16 nov. 2020
- 10 min de lecture
Introduction
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »
Cet article premier de la Constitution de la IVème République, reprise par la Constitution de la Vème République rappelle les fondements essentiels de notre fonctionnement sociétal républicain. La laïcité fait l’objet de nombreux débats, liés principalement à son interprétation. N’étant pas définie juridiquement, il est complexe d’en évaluer la mise en place au sein de l’administration française, cette dernière ayant une vision de la laïcité assez différente des autres États Laïques. La laïcité se définit par la séparation du pouvoir politique (et étatique) et du pouvoir religieux, elle se fonde sur trois principes fondamentaux : la neutralité de l’État, la liberté religieuse, et le respect du pluralisme. Ces trois principes incarnent une vision de la laïcité qui tend à ne faire aucune distinction aux yeux de l’État et à promouvoir la liberté de culte et de conscience sans faire de la laïcité « une religion républicaine », mais cherchant plutôt à fédérer sur des valeurs communes. Les institutions administratives et juridictionnelles ont toujours rappelé ces principes par une jurisprudence abondante et parfois remise en question, mais également des avancées législatives, c’est le cas notamment des différentes lois (Loi Ferry, loi de 1905...) ou encore d’institutions autant européennes que nationales (tel que le Conseil d’État...). Cependant la difficulté d’interprétation de la Laïcité, la nécessité de promouvoir la neutralité du service public, ainsi que les demandes concrètes des concitoyens, dégagent un véritable enjeu public de la laïcité. C’est la mise en œuvre dans ses collectivités territoriales, par l’administration et les élus locaux qui ont contribué à compléter la jurisprudence d’un des principes républicains les plus complexes à interpréter. Cette complexité n'est pourtant qu'apparente, car la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat est d'une clarté sans équivoque: l'Etat ne reconnaît ni ne salarie aucun culte, or, malgré cette définition simple, certains semblent peu enclins à l'appliquer telle qu'elle est rédigée. Cela amène à une multiplication des "définitions" de la laïcité... D'où l'incompréhension de cette dernière ! Mais cela est un autre sujet, aujourd'hui je vais parler de la laïcité au sein des administrations publiques locales. En effet quelques rappels suite aux élections municipales ne me semblent pas de refus. Le fil directeur de cette note est donc la problématique suivante: Comment le principe de laïcité peut-il être mis en œuvre au sein des services publics des collectivités territoriales ?
Les enjeux publics liés au principe complexe de la Laïcité [I] impliquent une mise en place particulière au sein des services publics communaux [II]
I] La difficile mise en œuvre du principe de laïcité
Le principe de laïcité est complexe, la laïcité s’illustre comme une notion aux interprétations diverses[A] et semble se placer comme un enjeu des politiques locales [B]
A) La complexité d’un principe aux interprétations hétérogènes
La laïcité fait face à des interprétations diverses au niveau local. Certains y voient une éviction du religieux et du spirituel, d’autres préfèrent y voir l’existence d’un tronc commun entre croyants et non croyants, composé de convictions humanistes et républicaines. D’autres encore font de la laïcité un corpus idéologique et philosophique, qui dans certains cas est concurrent au religieux. D’autres enfin font la distinction entre la sphère publique (Citoyenneté) et la sphère privée (Religieuse, basée sur la foi), et l’État dans cette conception doit protéger l’un comme l’autre, sans reconnaître de quelconques privilèges à un culte en particulier. La laïcité évolue donc avec la société, et doit faire face aux nouvelles demandes qui y émergent. Au niveau local cela se traduit notamment par les problématiques liées à la gestion des espaces funéraires dans les cimetières (les rites cultuels), mais également au quotidien dans les cantines des espaces scolaires. Les élus locaux sont souvent mis en porte-à-faux par l’État : Pour prendre l’exemple des cimetières, bien que ses derniers soient soumis à la laïcité et que les élus locaux soient dans une obligation de neutralité vis à vis de la sphère religieuse lorsqu’ils endossent des responsabilités, l’État incite les communes à mettre en place dans les cimetières des espaces réservés à certains cultes. Cela se fait également via la pression exercée par les communautés religieuses, qui exercent une certaine influence sur les élus locaux, qui ne savent plus s’ils doivent répondre aux demandes de leurs administrés, ou engager un strict respect du principe de laïcité. Les cantines scolaires également agitent le débat politique vis à vis du menu qui y est servi. En effet la question du porc devient épineuse pour certaines équipes municipales qui lui préfèrent le menu « sans viande » pour trouver un consensus entre les communautés, dans un strict respect de la laïcité. Cependant bien que le dialogue entre les écoles et les représentants des communautés religieuses semble pertinent, la question des menus à la cantine témoigne d’une vision de la laïcité à géométrie variable, certains optant pour un même repas pour tous « au nom de la laïcité » tandis que d’autres, encore au nom de la laïcité, vont proposer un repas sans viande.
La formation des élus semble être une réponse pertinente pour pallier aux incertitudes et aux interprétations diverses du concept de Laïcité, et cela même si juridiquement il s’agit d’une notion vaste, non clairement définie, et souvent, paradoxalement, contradictoire entre les différentes jurisprudences. Ainsi la neutralité est durement mise à mal lorsque l’État incite les élus locaux à répondre de manière favorable aux demandes spécifiques de leurs administrés. La formation des élus et la recherche du consensus et du dialogue semble être la manière la plus à même de ne pas heurter la liberté de conscience tout en sauvegardant une idée de laïcité et de pluralisme religieux qui n’amène pas à une confusion entre État et Religion. Cependant localement, la question religieuse reste un enjeu de politique locale.
B) Le principe de laïcité comme enjeu des politiques locales
L’évolution de la société touche globalement toutes les structures publiques. Au niveau territorial en particulier, les élus n’ont souvent comme interlocuteurs principaux que les associations et organisations confessionnelles. En effet ces dernières années, une émergence des demandes particulières se fait de plus en plus importante au niveau local. Qu’il s’agisse des cantines scolaires et de leurs menus, ou des cimetières, les élus locaux font face à une croissance des pressions exercées par les communautés religieuses, parfois même dans certains quartiers et certaines villes, elles donnent lieu à des comportements électoralistes. Ajouté à cela une demande de l’État de répondre le plus favorablement possible à ces demandes particulières, et un véritable flou juridique sur la notion de Laïcité et les conséquences pour les politiques locales s’en font ressentir. En effet l’insécurité juridique qui résulte de cette contradiction impacte la neutralité qui incombe à tout agent public et place les élus en porte-à-faux vis à vis des demandes de leurs administrés. La tentation de déléguer les services publics à des opérateurs privés afin d’éviter les risques potentiels lié à l’irrespect du principe de Laïcité s’en retrouve agrandi, mais le problème tient au fait, que même délégué, il serait impossible de proposer un service public pour les administrés qui soit dégradé : Ainsi même les opérateurs privés sont obligés, dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public, à répondre favorablement aux demandes des administrés sans remettre en cause le principe de Laïcité. Ainsi c’est la jurisprudence qui étoffe le corpus juridique du principe de Laïcité, et c’est grâce à ce développement juridique au cas par cas qu’il est permis d’identifier les éventuelles sorties de crises, ou de détourner les problèmes afin de permettre un consensus et une stricte séparation de l’Église et de l’État tout en garantissant un service public répondant aux demandes de tous les cultes sans exceptions, garantissant le pluralisme religieux des concitoyens français. Ainsi plus précisément, la jurisprudence et la loi de 1905 ont permis de répondre à des problématiques locales telle que la réparation et l’entretien des bâtiments religieux, la participation financière et le financement (dont certains élus locaux voudraient qu’ils soit directs), ou encore l’aménagement de lieux de cultes par les communes. Ainsi de nombreux arrêts datant du 19 juillet 2011 traitent de cas très particuliers permettant d’éclairer l’interprétation de la loi de 1905, témoignant ainsi d’une évolution constante et récente du principe de Laïcité. Principe qui au-delà de s’appliquer aux élus, s‘appliquent dans les services publics communaux, aux fonctionnaires et aux administrés, à des échelles différentes.
II] L’application du principe de laïcité au sein des services publics communaux La laïcité et tous les principes qu’elle implique s’impose comme une nécessité pour les fonctionnaires et l’administration pour assurer leurs missions de service public [A] mais s’impose également, dans une certaines mesures, aux usagers de ces services [B] A) Un principe revendiqué pour les fonctionnaires et l’administration La laïcité dans la fonction publique territoriale et l’administration s’articule autour d’un principe majeur : La neutralité de l’agent, du fonctionnaire. Cela se traduit par plusieurs aspect, comme l’interdiction de toute discrimination liée à la religion. De plus les agents disposent de la liberté de conscience qui interdit qu’on leur inflige toute discrimination, à condition que ces croyances soient compatibles avec l’exercice de leurs fonctions : Ainsi la manifestation de ces opinions peuvent se heurter au principe de laïcité. Le Conseil d’État dans un avis du 3 Mars 2000 affirme d’ailleurs le caractère indissociable du devoir de neutralité et de la liberté de conscience, et leur caractère fondamental est reconnu par le conseil constitutionnel. Cependant encore une fois, l’appréciation se fait au cas par cas, et la jurisprudence est riche de cette nature. En effet le rôle du chef de service est mis en avant pour appliquer le principe de neutralité, la circulaire du 2 mars 2011 autorise ce dernier à faire respecter l’interdiction de dissimulation du visage. Cette logique se retrouve également avec le Conseil d’État qui considère que le fait pour un agent public de l’enseignement d’effectuer sa mission de service public avec un signe religieux a caractère ostentatoire constitue un manquement à ses obligations. Ainsi c’est d’arborer un signe lors de l’exercice des fonctions qui est considéré comme contraire au principe de laïcité et constitutif d’une faute de l’agent public. C’est pour ces raisons qu’une charte de la Laïcité a été proposée par la délégation régionale du CNFPT de Grenoble qui rappelle le devoir de neutralité de l’agent public. Cette charte rappelle évidemment que le fait pour un agent de manifester ses convictions religieuses dans le cadre de l’exercice de ses fonctions est un manquement à ses obligations, mais également qu’il appartient aux responsables de ces services de faire respecter la laïcité dans l’enceinte des administrations. Cependant cette Charte rappelle aussi une partie indissociable du devoir de neutralité : La liberté de conscience. Ainsi un agent, tant que cela n’influe pas sur la continuité et le fonctionnement normal des services peut s’absenter pour participer à une fête religieuse. Le neutralité des agents et des administrations est cependant limitée dans certains cas, en effet les collectivités peuvent agir en faveur d’une initiative religieuse car elle a l’obligation d’assurer cette liberté de conscience et d’en être les garantes. Par exemple, lorsque ces initiatives religieuses sont conditionnées à un intérêt public local, les collectivités territoriales peuvent tout à fait les favoriser (à condition évidemment dans exclure toute libéralité). Ainsi les collectivités sont confrontées à de nombreuses problématiques pour articuler la liberté de conscience de la neutralité de l’agent public. De nombreux cas ont d’ailleurs été traités, avec plus ou moins de fermeté (Le cas d’agents exerçant leurs fonctions avec un voile pour ne citer que cet exemple). Ainsi les acteurs locaux ont le choix, dans la manière de traiter ces entorse aux principes de Laïcité, de le faire avec pédagogie et discussion, ou alors avec intransigeance. Mais le principe de Laïcité ne s’applique pas qu’aux agents publics, car pour garantir un pluralisme efficace, certains usagers des services publics doivent se soumettre à certaines réglementations. B) Un principe promu pour les usagers des services publics L’État doit garantir la neutralité des agents du service public, les administrations le font à l’échelle des collectivités locales. Mais il doit aussi sauvegarder la liberté de conscience, et in fine, le pluralisme des cultes, et c’est précisément la source des réglementations qui s’incombent aux usagers. Car en effet si un agent public ne doit pas faire subir de discrimination aux usagers et doit s’imposer une neutralité, il est également nécessaire d’imposer un refus des discriminations de la part des usagers vis à vis d’un agent public qui exerce sa fonction. La charte de la Laïcité le rappelle également : « Les usagers des services publics ne peuvent récuser un agent public ou d'autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d'un équipement public », elle rappelle que tous les usagers sont égaux devant le service public bien que le service puisse prendre en considération la foi de ses usagers dans la limite du bon fonctionnement, de l’ordre public et des impératifs qui y sont liés. Ainsi la charte rappelle par ce biais que l’État n’est pas anti-religieux, et ne pratique pas un athéisme radical et intégriste, mais il est le garant des libertés publiques, et donc également, de la liberté de conscience. Ainsi rien n’interdit de prendre en compte les convictions des usagers du service : La laïcité implique une séparation du religieux et du politique dans la mesure où il s’agit de protéger la foi de chacun, au bénéfice du pluralisme religieux, en garantissant les libertés de croire ou de ne pas croire sans discrimination sur les cultes majoritaires. Tout cela bien entendu dans le respect des libertés et de l’ordre public, qui se garantissent par une obligation de neutralité des agents dans l’exercice de leurs fonctions. Ainsi les usagers peuvent manifester leurs croyances à condition qu’ils ne s’agisse pas d’un acte de prosélytisme, donc, dans une moindre mesure. Pour garantir le pluralisme et la liberté de conscience, la laïcité permet donc aux collectivités locales, par le biais de la loi de 1905, les dépenses d’entretiens d’édifice religieux dont elles sont propriétaires, le financement des travaux d’entretiens (dès lors que les édifices appartiennent à des associations cultuelles). Il s’agit donc de promouvoir une forme de vivre-ensemble qui ne sépare pas radicalement les décisions politiques : Car il serait complexe d’occulter l’influence de la religion sur les administrés à l’échelle d’une commune. La laïcité permet donc que ces dernières puissent satisfaire aux besoins de la communauté en garantissant un pluralisme, une liberté de conscience pleine et entière tout en imposant des règles strictes de neutralité, de respect, et de protection de l’ordre public. Ainsi la vision de la laïcité radicale séparant toute question religieuse des questionnements politiques tend à laisser la place à une vision de la laïcité qui soit plus inclusive, et incite au dialogue, et la pédagogie des élus et des citoyens, pour que chaque français, au-delà de sa vie civique, puisse vivre sa foi en toute liberté, sans empiéter sur celle des autres. Nicolas PELLEGRINI
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